Anthony Egéa / Muses / Trop, c'est trop...
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 15/12/2019
- Dans Critiques Spectacles
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Anthony Egea :
Trop, c’est trop…
L’une des plus grandes qualités de ce chorégraphe qui a suivi l’enseignement de Rosella Hightower avant de prendre des cours à l’Alvin Ailey American Dance Theater est, outre son penchant affirmé pour le hip-hop, son esprit… subversif ! Mais sa plus grande originalité est d’amalgamer et de mixer diverses formes d’art - et de danse en particulier - avec autant d’audace que d’impertinence. C’est en 2001 qu’il fonde sa compagnie « Révolution » avec laquelle il va présenter des spectacles en marge des sentiers battus avec une bonne dose d’humour et de fantaisie mais, parfois aussi, d’impertinence ou d’insolence comme, entre autres, dans Soli, créé en 2008 et Urban Ballet en 2011. Avec Bliss en 2014 (voir à cette date dans ces mêmes colonnes), il confronte les danses tribales avec les danses urbaines, tout en mettant sur scène les délices et délires du clubbing. Il réalise également une relecture fort originale du Magicien d’Oz pour les plus jeunes, avec Dorothy en 2014. S’il utilise le plus souvent des musiques contemporaines comme support de ses pièces, en particulier celles de son "âme damnée" Franck II Louise, il n’en dédaigne pas moins la musique classique qu’il associe à la danse hip-hop, comme par exemple en 2011 dans Tetris, commande du Ballet National de Bordeaux. Exploit qu’il va tenter de renouveler en 2018 avec Muses, une œuvre pour deux danseuses et deux pianistes en quatre parties, sur des partitions de Debussy, Bizet, Saint-Saëns et Ravel retranscrites pour piano, certaines étant habillées ou revisitées par Frank II Louise. Son souhait : "donner à voir des femmes indépendantes, de caractère, libres, puissantes dans leur fragilité, leur douceur, leur pudeur, des femmes virtuoses, efficaces, redoutables et qui savent aussi donner libre cours à leur folie"…
Photos Dan Aucante
Cette fois cependant, le chorégraphe s’est laissé submerger par la beauté et la puissance de la musique. Tout est parti, dit-il, d’un concert auquel il assista un beau jour d’été au Théâtre de Brive-la-Gaillarde, concert au cours duquel il découvrit un duo de pianistes "de choc", Naïri Badal et Adelaïde Panaget, dans un récital à quatre mains. Il fut tellement subjugué par leur talent qu’il leur demanda d’accepter de décloisonner leur univers en s’associant à deux breakeuses de sa compagnie, Emilie Schram et Emilie Sudre, pour réaliser un cocktail chorégraphique détonnant, ce que les musiciennes acceptèrent avec un enthousiasme communicatif. Il ne restait plus qu’à concocter un choix de musiques appréciées d’un public pas nécessairement mélomane, lesquelles pourraient se prêter allègrement à ce genre d’exercice. Un choix aussi difficile que périlleux qui s’est finalement avéré servir davantage les deux pianistes-virtuoses que les danseuses. Et qui mieux est, la pièce de loin la plus originale, à savoir la Danse macabre de Saint-Saëns, était interprétée paradoxalement exclusivement par les deux musiciennes, lesquelles, complices pour la circonstance, avaient du même coup revêtu l’habit d’amuseur public, voire de clown facétieux, se présentant côte à côte devant leur piano, dos au public, impliquées totalement dans la danse, joignant le geste à la musique sans rien perdre de leur virtuosité !
Tout autre, Le Prélude à l’après-midi d’un faune sur la musique de Debussy transcrite - sans détournement de phrasé - pour deux pianos, une danse féline dans le plus pur style hip-hop, mâtinée toutefois de contemporain, mettant en avant la sensualité, la souplesse reptilienne et la féminité de ses interprètes. Une pièce dans laquelle les deux pianistes tiraient on ne peut mieux leur épingle du jeu. Lui succédait un arrangement heureusement assez court de Carmen, mettant en avant le caractère énergique, impulsif et violent de la protagoniste, trait que l’on peut retrouver aujourd’hui encore chez certaines matrones dominatrices. Ce concert chorégraphique se terminait sur une parodie du Boléro de Ravel dans un arrangement électro des plus cocasses de Frank II Louise, mascarade totalement débridée, qui aurait pu s’avérer des plus captivantes si elle n’avait pas été outrancière, voire dérangeante dans la gestuelle qui l’accompagnait… En fait, elle s’avérait être une joyeux délire au sein duquel on pouvait assister à des crêpages de chignon en règle, des vols planés de chaussure et autres facéties du même acabit… Dommage, si l’on considère que l’un des objectifs poursuivi par le chorégraphe était de défendre la cause des femmes et de sensibiliser à la musique classique un public qui ne l’était pas encore…
J.M. Gourreau
Muses / Anthony Egéa, Théâtre de la Cité internationale, Paris, 13 et 14 décembre 2019. Spectacles présentés dans le cadre du festival de danse Kalypso.
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