Daniel Larrieu / Chiquenaudes / Romance en stuc / Nostalgie, quand tu nous tiens
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 20/11/2019
- Dans Critiques Spectacles
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Photos Benjamin Favrat
Romance en stuc Romance en stuc Chiquenaudes
Daniel Larrieu :
Nostalgie, quand tu nous tiens…
Il est toujours fascinant de revoir les premières pièces d’un chorégraphe qui a marqué son temps ; cela permet de mesurer l’évolution de son art et, avec lui, celui de son époque. En effet, Daniel Larrieu, protagoniste des chorégraphes de la « Nouvelle danse », perpétuellement à la recherche de nouvelles expériences, a produit, depuis le début des années 80, une bonne cinquantaine de pièces chorégraphiques, certaines ayant défrayé la chronique du fait de leur inventivité et de leur originalité. L’une de ses toutes premières, Chiquenaudes, est une œuvre abstraite de 9 minutes, sans musique ni argument pour trois danseurs : créée à l’occasion du Concours de Bagnolet en 1982, elle remporta le second prix. Romance en stuc quant à elle, fresque théâtrale de presque 1 heure, a été présentée au public pour la première fois le 19 juillet 1985 au cloître des Célestins, dans le cadre du festival d’Avignon. Elle fait suite à une commande que Bernard Faivre d’Arcier, à l’époque directeur de ce Festival, lui avait faite après avoir admiré Chiquenaudes et La peau et les os. Comment perçoit-on ces pièces aujourd’hui, plus de 35 ans après leur création ? Si l’un des buts de Daniel Larrieu est de transmettre son art et son travail aux générations actuelles de danseurs, ce n’est bien évidemment pas le seul. Ce chorégraphe cherche en effet également à évaluer l’impact de ces pièces aujourd’hui, en particulier, à savoir si leur originalité et la « subversion » sous-jacente qu’elles contenaient alors ne se sont pas affadies. Celles-ci s’avéraient en effet réellement révolutionnaires pour l’époque… Mais le sont-elles restées ?
La première d’entre elles, Chiquenaudes, bien que très "carrée", est une œuvre, légère, vive et ludique, pleine de joie et d’entrain, dont l'exécution donne l’impression de rendre ses interprètes heureux, tout en les libérant du carcan de l’académisme qui leur avait été imprimé durant leur apprentissage. Sa caractéristique : des petits gestes souvent fort drôles, arrêtés puis repris après remaniements et transformations, évoquant les séquences d’un dessin animé. L’œuvre reste en tous cas aujourd’hui l’illustration de la fougue et du plaisir qu’éprouvait cette ribambelle de jeunes pleins d’entrain à se produire devant un public à une époque où, pourtant, il n’y avait quasiment aucune facilité pour la travailler ou la répéter.
Romance en stuc, photos de la création en 1985 - © J.M. Gourreau
Romance en stuc s’avère quant à elle d’un tout autre caractère. Les années 83 et 84 ont donné chacune naissance à deux autres créations, Un sucre ou deux et Volte-face, puis Ombres électriques et La peau et les os. Si leur facture chorégraphique s’avère très semblable, la griffe du chorégraphe étant déjà bien arrêtée, leur propos, lui, est très différent. Romance en stuc évoque l’histoire des amours entre une jeune aristocrate, veuve, et un jouvenceau issu du même milieu. Celui-ci ne lui est pas très attaché et reporte ses sentiments sur l’image d’une jeune fille d’une beauté surnaturelle, laquelle lui est apparue dans le miroir vénitien de son salon : or, cette jeune fille qui l’aimait en secret sans qu’il le sache, est morte à l’âge de 18 ans dans un accident, et c’est son spectre qui surgit à ses yeux. C’est en lisant Spirite, un roman fantastique que Théophile Gautier avait écrit quelque 140 ans auparavant - lequel, lui aussi, avait été à l’origine de la célèbre Giselle de Perrot et Coralli mise en musique par Adolphe Adam - que Larrieu eut l’idée de ce ballet lyrique pour onze danseurs affublés de perruques baroques en polyuréthane, lequel lui permettait d’évoquer et mettre en scène deux univers parallèles, d’un côté le réel et, de l’autre, en transparence, l'imaginaire, peuplé d’êtres surnaturels, fantasmagoriques et éthérés.
Photo Benjamin Favrat
Force est de constater que ni Chiquenaudes, ni Romance en stuc n’ont perdu un iota de leur charme ou de leur éclat. Certes, elles ne sont pas totalement identiques aux pièces originelles, les modifications les plus importantes ayant porté sur la simplification des décors et, aussi, sur la reconstruction et l’adaptation d’une gestuelle théâtralisée qui n’est pas sans évoquer celle des arts martiaux. "Si, aujourd’hui, le corps de l’autre est accessible plus facilement qu’avant, il est plus difficile d’accéder à l’intimité de sa personne" nous dit le chorégraphe. De plus, constate t’il, la nouvelle génération de danseurs est beaucoup plus relâchée et s’octroie une plus grande liberté dans la gestuelle, ce qui génère une autre forme de danse". De ce fait, la matière chorégraphique provient davantage de l’âme du danseur que de l’écriture, ce qui génère une impression de nouveauté à chacune des représentations, celles-ci s’avérant peut-être moins codifiées qu’à l’origine. Mais elles n’en demeurent pas moins fort émouvantes du fait de leur richesse et de leur spontanéité.
J.M. Gourreau
Chiquenaudes & Romance en stuc / Daniel Larrieu, Paris, Théâtre de la Cité internationale, du 14 au 16 novembre. Spectacle donné dans le cadre de New Settings # 9, un programme de la Fondation d’entreprise Hermès.
Daniel Larrieu / Chiquenaudes / Romance en stuc / Théâtre de la cité internationale / Novembre 2019
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