En chair et en son # 3 / Festival de butô d'Issy-les-Moulineaux / Un festival qui gagne ses lettres de noblesse
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 31/10/2017
- Dans Critiques Spectacles
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The colour / Sierra Kinsora
Ph. J.M. Gourreau Ph. F. Pairault Ph. J.M. Gourreau
En chair et en son # 3:
Un festival qui gagne ses lettres de noblesse
Trente six danseurs et musiciens de onze pays réunis pendant trois jours dans un festival alliant butô et musique acousmatique, voilà une gageure, un défi pour le moins original. C'est en effet en ce mois d'octobre que le festival international En chair et en son fête sa troisième année d'existence, à Issy-les-Moulineaux, sous la houlette du compositeur électro-acousticien Michel Titin-Schnaider. "Les plus belles histoires ont souvent pour origine un rêve", nous dit Elizabeth Damour, psychothérapeute par l'art et la danse, elle-même danseuse de butô. "Tout est parti il y a trois ans de la rencontre entre ce musicien, créateur en 2007 des Aventures électro-acoustiques (association dont le but est de promouvoir la musique électro-acoustique, encore connue sous le vocable de musique "concrète", ou "acousmatique") et de Veronica Navia, sa compagne, tous deux fervents passionnés de danse butô et de musique concrète. "Et si l'on créait un festival où la chair du danseur butô sublimerait le son de la musique acousmatique" suggérèrent-ils à Vincent Laubeuf, directeur de la compagnie musicale Motus et du Festival Futura. L'idée devait prendre corps quelque temps plus tard grâce au soutien de Carine Le Malet, responsable de la programmation au Cube, centre de création numérique géré et animé par l'association ART3000. Celle-ci releva le défi et mit à la disposition des artistes "cette forêt habitée de haut-parleurs qui constitue l'acousmonium", « orchestre » d'enceintes de référence, lesquelles mettent en avant la spatialisation du son.
Viviane / Masaki Iwana
Ph. F. Pairault Ph. J.M. Gourreau Ph. J.M. Gourreau
Temps forts du festival
Difficile en quelques lignes d'évoquer les 18 prestations des artistes réunis pour la circonstance, certaines d'entre elles étant malheureusement peu ou prou éloignées du butô. Cet art étant par essence d'obédience japonaise, il était à prévoir que les prestations les plus poignantes seraient nippones, ce qui fut bien évidemment le cas. Toutefois, contrairement à ce que l'on aurait pu penser, certaines performances d'artistes occidentaux, telle celle de Sierra Kinsora, The colour, m'a évoqué, par sa douceur, son intériorité et son extrême expressivité, le souvenir de Kazuo Ohno dans La Argentina. Un intense moment de poésie dramatique qu'elle parvint à sublimer avec beaucoup de naturel. Sa tranquille assurance, son fatalisme et l'émotion qu'elle éprouvait à l'écoute de la partition du musicien-vidéaste allemand Ʌrtvr sourdait par tous les pores de sa peau, parvenant à faire ressentir - voire même vivre - la profondeur de cette musique inspirée par l'œuvre de H.P. Lovecraft : celle-ci, intitulée The colour out of space (La couleur du ciel), évoquait en effet les désastres engendrés par la chute, en 1880, d'une météorite sur la ferme de Nahum Gardner, détruisant toute forme de vie, semant la désolation, la démence et la mort sur son passage. Son interprète s'était dématérialisée pour gagner cette lande maudite et errer dans ce bien triste univers. Pas étonnant lorsque l'on saura que cette danseuse d'origine américaine, après avoir étudié la danse classique pendant 13 ans, s'est tournée vers le butô avec pour maîtres Masaki Iwana et sa compagne, Moneo Wakamatsu... Ces deux derniers artistes se sont d'ailleurs aussi produits au cours de ce 3ème festival, le premier dans un poignant solo, Viviane, sur une musique de Sandrine Robelin, la seconde dans une splendide Allégorie japonaise, sur la partition fort évocatrice de Michel Titin-Schnaider. Si l'on connait assez bien la puissance de l'art de Masaki Iwana, on appréhende moins celle de son épouse qui a conçu pour cette manifestation un petit bijou de délicatesse et de poésie chargé d'une très grande émotion, invitant son public à parcourir et visiter différentes époques ou états du Japon, Nature, Tradition, Modernité, Américanisation et Fukushima. Il fallait en outre noter la parfaite adéquation entre la musique et la danse, ce qui n'a malheureusement pas toujours été le cas au cours de ce festival.
Allégorie Japonaise / Moeno Wakamatsu - Ph. J.M. Gourreau
Autre chorégraphe et danseur dont la prestation fût remarquable et remarquée, La forêt du crépuscule de Dominique Starck, lui aussi en osmose parfaite avec la musique de Blas Payri. Cet artiste alsacien a conçu une pièce aussi onirique que poétique, profonde et ténébreuse, que n'aurait pas reniée un Heinrich Heine, se métamorphosant en arbre torturé par les rafales de vent et de pluie sous l'orage crépusculaire. Dominique Starck possède d’ailleurs plusieurs cordes à son arc : formé entre autres au butô par Carlotta Ikeda, Yoshito Ohno (le fils de Kazuo), Katsura Kan et Masaki Iwana, c'est aussi un peintre diplômé de l’Ecole des Arts décoratifs de Strasbourg qui organise chaque année une manifestation culturelle alliant arts visuels, musiques et danses contemporaines (entre autres des festivals de danse butô), tant à Strasbourg qu’en milieu rural avec le soutien de cette Ville, du Conseil Régional d’Alsace et du Conseil Général du Bas-Rhin. Les derniers en date : Silent wisdom arts visuels, danse butô et spiritualité et Butoh off à Strasbourg. Enfin, bien que légèrement en marge du butô traditionnel mais non de son esprit, j’aurais également à cœur de mentionner la prestation sombre et ténébreuse d'Anna Ventura Natsuki dans Here lies one whose name was writ in water, laquelle avec ses corbeaux empaillés mais plus vrais que nature, m’évoquait le thriller d'Hitchcock, Les oiseaux, narrant les attaques inexpliquées de volatiles de toutes espèces sur les habitants de la petite ville de Bodega Bay en Californie, dans un climat d’intense terreur.
Voilà donc une manifestation particulièrement originale de par l’osmose impérieuse, incontournable et singulière entre musiciens et danseurs, laquelle tient parfaitement sa place dans le paysage chorégraphique actuel, occupant en outre un créneau resté jusque là vacant.
J.M. Gourreau
Here lies one whoses name was writ in water /
Les pensées de Jeanne / S. Grandjean Anna Ventura Natsuki Dans le silence, on ne sait pas / Marlène Jöbstl
Ph. J.M. Gourreau Ph. J.M. Gourreau Ph. F. Pairault
Programme du festival :
26.10.17 : ● Souffle / Yves Comeliau, musique CandleSangue
● Dance / Marek Jason Isleib, musique Alexandre Bellenger ;
● The colour / Sierra Kinsora, musique Ʌrtvr ;
● In the shadow of times / Juju Alishina, musique Alexandre del Torchio.
27.10.17 : ● Stonewashed / Maxime Pierre, musique Christophe Lambert ;
● Anthropocène / Alyona Ageeva, musique Céline Perier ;
● Viviane / Masaki Iwana, musique Cendrine Robelin ;
● Expressivitesse /Tamara Pitzer, musique David Fenech ;
● Here lies one whose name was writ in water / Anna Ventura Natsuki, musique Giosuè Grassia ;
● Eviction / Ephia Gburek, musique Céline Pierre ;
● Allégorie japonaise / Moeno Wakamatsu, musique Michel Titin-Schnaider.
28.10.17 : ● (dé)placements / Elizabeth Damour, musique Yves Zysman ;
● Les pensées de Jeanne / Sarah Grandjean, musique Iris Lancery & Bruno Capelle ;
● La forêt du crépuscule / Dominique Starck, musique Blas Payri ;
● Marguerite au cachot / Brigitta Horváth, musique Edgar Nicouleau ;
● Le silence de la montagne / Maité Soler, musique Nicolas Marty ;
● Le crépuscule des cités abandonnées / Sylvia Hanff, musique Pierre Boeswillwald ;
● Dans le silence on ne sait pas / Marlène Jöbstl, musique Vincent Laubeuf.
Le Cube, Issy-les-Moulineaux, du 26 au 28 octobre 2017, dans le cadre du festival En chair et en son # 3.
Photos F. Pairault
La forêt du crépuscule / D. Starck Souffle / Yves Comeliau Dé-placement(s) / Elizabeth Damour
Dance / Marek Jason Isleib - Ph. F. Pairault
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