Fabrice Ramalingom / Générations, battle of portrait / Connivence et partage
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 13/03/2022
- Dans Critiques Spectacles
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Photo J.M. Gourreau Ph. B. Pelleschi Ph. J.M. Gourreau
Fabrice Ramalingom :
Connivences et partage
Voilà un duo particulièrement émouvant, d’une grande sensibilité et d’une non moins grande humanité : celui de deux hommes dont l’un pourrait être le père de l’autre, deux hommes qui, pourtant, n’ont rien de commun entre eux et qui vont petit à petit apprendre à se connaître, à se respecter, à s’apprécier jusqu’à établir une complicité touchante, d’une grande intensité. Leurs univers sont pourtant diamétralement opposés, le plus vieux, Jean, - il a plus de 70 ans - est un sage, réfléchi, plein d’expérience, usé par les vicissitudes de la vie certes, mais encore svelte et plein d’allant, et qui danse encore ; Hugues, le plus jeune, à peine 23 ans, un peu fou, révolté, plein d’exubérance et de vitalité, ivre de liberté, recherche chez son aîné le savoir, le réconfort. Finalement, ils ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre. Le plus jeune, l’écoute, la tempérance, la modération… Son aîné a pleinement joui de la vie durant son existence. Mais il cherche, à la lumière de ce qu’il vit aujourd’hui, à ré-appréhender un passé qu’il nous ouvre, tout en savourant la liberté que son compère lui fait miroiter et dont il a vraisemblablement insuffisamment goûté, ayant vécu les répercussions de la guerre et subi la révolution de mai 68. Tous deux ont cependant un point commun, la passion pour l’ornithologie ce qui, sans doute, facilite bien les choses. Tout cela serait bien banal si cette histoire n’était pas réellement la leur, au détail près, sans fioritures, au plus proche de la réalité. Il n’y a rien de tel en effet que le vécu et un ressenti véritable et profond pour rendre leur discours dansé réellement accessible, plus compréhensible, plus touchant.
Leur histoire, c’est peut-être aussi un peu celle du chorégraphe, Fabrice Ramalingom, un être qui, lui aussi, a pas mal bourlingué à travers notre vaste monde, un être que les revirements de l’existence ont également grandement façonné, un être dont le besoin de se jeter à corps perdu dans la vie est toujours bien présent et dont l’entrain est resté à ce jour pleinement intact. Et si Fabrice a choisi ces deux artistes, Jean Rochereau et Hugues Rondepierre, pour mettre en valeurs a pensée et son ressenti du moment, c’est qu’il y avait nécessairement un lien très fort entre eux, un lien d’échange et de partage, lequel, bien sûr, s’est renforcé au cours du temps. La première fois que Jean et Fabrice se sont rencontrés et ont décidé de travailler ensemble, c’était en 1977, lors de la création de Postural : études, une pièce de la même veine que Générations puisqu’elle mettait en scène une quinzaine d’hommes de différents âges qui tentaient de construire une communauté éternelle. Cette œuvre se terminait par un face à face entre le plus jeune des hommes et le plus âgé. Depuis cet instant, le chorégraphe se promit de retravailler avec lui…
Ph. J.M. Gourreau Ph. B. Pelleschi Ph. J.M. Gourreau
La collaboration entre Fabrice et Hughes est plus récente. Ils se sont rencontrés la première fois lorsque Hugues dansait dans la formation Coline, et Fabrice l’avait invité à créer A new wildblossom (Eclosion sauvage) à Klap, Maison pour la danse à Marseille. Curieusement, dans cette œuvre, le chorégraphe remettait en jeu les processus d’une création appelée à interroger le passage tumultueux de l’adolescence à l’âge adulte, un leitmotiv qui, finalement dans son subconscient, le hante toujours et qu’il ne cesse d’explorer depuis lors… Or, la description flatteuse et séduisante qu’il donne de son jeune interprète est attachante, et l’on conçoit aisément qu’il ait imaginé de le confronter à son aîné : « Portant tantôt la crête, tantôt les cheveux longs, bleus ou roses, parfois le crâne tondu ou des dreadlocks rasta**, s’habillant de robes, de jupes, quand ce n’est pas de « fringues » des années 80 trouvées chez les fripiers. Il dévie les styles, les mélangeant pour en créer d’autres. Pour sûr, il aime le rock. Il joue de la musique dans un groupe. Lui aussi est curieux des autres, du monde qu’il aime d’ailleurs découvrir en voyageant, sac à dos et sac de couchage sur l’épaule, des amis à ses côtés ou, parfois, en solitaire. Il aime fouler notre planète et, à son échelle, milite pour réveiller les consciences, se bat pour qu’on en prenne soin. Il évite d’appartenir à une quelconque étiquette, et se sent libre. Il est sain, frais, vif, et porte bonne humeur et joie comme une écharpe légère flottant au vent. Parfois frondeur, parfois tendre, parfois adulte et sérieux, parfois juvénile et innocent ».
Il n’est dès lors pas étonnant que le duo formé par ces deux artistes soit captivant. Car tout le jeu consista à composer, à coexister l’un avec l’autre. Ce que nous montre Ramalingom avec beaucoup de finesse et de talent dans ce duo, ce sont la rencontre et les relations qui vont peu à peu s’établir et se nouer entre ces deux fabuleux interprètes, lesquels vont être amenés à se jauger et à confronter leurs personnalités et leurs expériences, tout en affirmant leurs caractères et leurs différences… Il en ressort des questions existentielles qui nous concernent tous, entre autres, sur le regard de l’autre sur soi et ce qu’il y a lieu de faire pour le modifier, sur la meilleure manière de vivre avec ce que l’on est et que l’on a, sur ce qu’il est nécessaire de faire pour gagner, et sur les conséquences de perdre…
J.M. Gourreau
Générations, battle of portrait / Fabrice Ramalingom, avec Jean Rochereau et Hugues Rondepierre, création les 11 et 12 mars 2022 à l’Atelier de Paris/ Carolyn Carlson, dans le cadre du Paris Réseau Danse.
*Postural a été créé les 2 et 3 juillet 2007 au Festival Montpellier Danse.
**Personnages porteurs de cheveux emmêlés.
Fabrice Ramalingom / Générations battle of portrait / Atelier de Paris : Mars 2022
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