Imre Thormann / Le faux David / Un butô européanisé
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 19/05/2019
- Dans Critiques Spectacles
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Imre Thormann :
Un butô européanisé
Le butô festival 2019 vient d’ouvrir ses portes à l’Espace Culturel Bertin Poirée à Paris avec la prestation d’un fascinant danseur encore peu connu en France, Imre Thormann. Par le truchement du personnage qu’il incarne, Le faux David, il nous apporte la vision d’un butô assez différent de celui que nous ont laissé les précurseurs de cet art, Tatsumi Hijikata et Kuazo Ohnô, vision néanmoins fort intéressante car nourrie de diverses influences occidentales, notamment celles de Jean Genêt et d’Antonin Artaud mais, surtout, celles inspirées de la "Neuer Tanz", née au milieu du XXème siècle. Ce courant d’expression allemand prônait en effet une danse qui se rapprochait de l’expressionnisme, condamnant la démarche esthétique et narrative du ballet classique qui primait à la fin du XIXème siècle, s’inscrivant dans un mouvement culturel de réforme de la vie. Les artistes de l’époque - et en particulier les danseurs - cherchaient alors à exprimer les vibrations violentes qui résonnaient en eux, qui les secouaient et qui ne demandaient qu’à s’extérioriser.
Photos J.M. Gourreau
Le faux David que Thormann personnifie n’est pas un héros de légende comme il le précise, mais un voyageur qui pourrait être n’importe qui d’entre nous, un être « issu de là où la douleur d’être né résonne comme un écho infini », une sorte de fantôme qui jaillit de notre ombre, qui se cherche, qui tente de trouver sa raison de vivre et de subsister. Les poignantes images qui naissent sous sa Geste, celles de l’angoisse, de l’oppression, de la tristesse, de la douleur, voire même de la mort, sont les reflets de l’âme d’un personnage qui a souffert et qui souffre encore, d’un être qui aspire à un renouveau spirituel, guidé, étreint et enlacé par le fil de la vie, cordon ombilical aussi ténu et fragile soit-il ; un corps qui tente, impuissant, de se rebeller contre l’adversité, tournant en rond mais finissant toujours par revenir à son point de départ. Sa danse est la danse de la vie, avec toutes les questions qu’elle peut engendrer, qu’elles soient matérielles ou philosophiques. Elle traduit les images qui naissent de son subconscient pour les capturer, les comprendre, les écouter, y réfléchir, y réagir sans toutefois leur résister. Dans sa danse, le mouvement va toujours de pair avec les émotions. "Au lieu de résister à l’image entrante (subconsciente), on l’assimile dans son corps, en prenant la forme de ce qui s’exprime", dit-il. Puis il la redirige en plaçant son corps dans une position différente, inspirée de cette impulsion initiale. La philosophie de sa danse peut être résumée en ces quelques lignes : " Les matériaux qui constituent notre corps sont sans aucun doute de cette Terre et ont participé à son processus de création. Par conséquent, notre corps, vivant ici présentement, recèle la totalité de l’histoire de la Terre. Ce que l’on appelle « vivre », « corps » et « esprit », ce sont précisément des phases de changement et de flux de la Terre". Kazuo Ohnô a dit un jour que "la danse est la prière de l'instinct". C’est par cette prière instinctive que, selon Imre, nous pouvons accéder aux forces intérieures qui nous émeuvent, et découvrir à quoi cela ressemble de vivre.
Né à Berne (Suisse) en 1966, Imre Thormann est fasciné très jeune par les arts martiaux qu’il aborde au travers de diverses disciplines, l’aikido, le kung fu, le taichi et le taekwondo, art martial sud-coréen voisin du karaté. Par la suite, il approche la danse par l’étude de la technique Alexander, laquelle permet d'apprendre à rétablir soi-même l’équilibre postural nécessaire au bon fonctionnement de l'organisme. Il part pour la première fois au Japon en 1989 et fait alors la connaissance de Kazuo Ohnô. Le butô en tant que tel n’y était alors pas encore connu, bien que ce mouvement ait toujours été considéré depuis ses débuts comme une forme d’art. Il retourne au Japon l’année suivante et s’installe pour 5 ans à Tokyo où il suit les cours de Kazuo Ohnô et de Michizou Noguchi. Si la danse qu’il pratique aujourd’hui est fortement influencée par l’art de ces deux danseurs, elle s’avère pour lui, le moyen de révéler la beauté intérieure de l’être humain, d’exprimer sa « fleur intérieure ». "Ce que j’essaie d’offrir lorsque je danse, dit-il, c’est d’ouvrir ce corps afin que cette fleur intérieure puisse pousser, que cette fleur intérieure puisse s’exprimer, que cette beauté intérieure puisse être mise en valeur". Voilà pourquoi sa danse nous interpelle, nous touche et nous fait vibrer.
J.M. Gourreau
Le faux David / Imre Thormann, Espace culturel Bertin Poirée, Paris, 16 & 17 mai 2019. Dans le cadre du Festival Butô 2019.
Imre Thormann / Le faux David / Espace Bertin Poirée / Mai 2019
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