Kea Tonetti / Terre rare, mémoire des sols / En chair et en son / Une talentueuse danseuse occidentale de butô
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 26/10/2021
- Dans Critiques Spectacles
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En chair et en son # 6 :
Kea Tonetti : une talentueuse danseuse occidentale de butô
Créé en 2015, le festival "En chair et en son", outre sa spécialité de faire appel exclusivement à des pièces musicales acousmatiques (encore appelées électro-acoustiques ou concrètes) comme support de chorégraphies était, à l’origine, axé sur le butô. Avec, il est vrai, quelques écarts vers des pièces contemporaines plus occidentales, le butô n’ayant pas encore gagné ses lettres de noblesse dans notre pays. Mais, comme je l’ai évoqué dernièrement, l’avenir de ce festival se trouve aujourd’hui compromis, la quasi-totalité des subventions dont il bénéficiait ayant été supprimées, suite à la COVID… Ce festival, dont c’est la sixième année d’existence, a certes permis de présenter le travail d’artistes japonais comme Masaki Iwana, Maki Watanabe, Shiro Daïmon, Juju Alishina, Yumi Fujitani, Moeno Wakamatsu, mais aussi de révéler de jeunes danseurs et chorégraphes occidentaux telle Sierra Kinsora*qui sont parvenus à s’immiscer et se lover au sein de cet art, quasiment "réservé" à des artistes dont les modes de pensée, voire de vie, sont très différents de ceux des occidentaux.
Kea Tonetti Ph. J.M. Gourreau
Cette année, c’est une italienne, Kea Tonetti, fondatrice de la compagnie Kha, que nous avons pu découvrir (ou, plus exactement, redécouvrir car elle s’était déjà produite à l’Espace Culturel Bertin Poirée, il y a deux ans avec un duo dirigé par John Laage, Two little Pierrot) et qui est parvenue, avec sa création de style butô, Terre rare, mémoire des sols, à nous émouvoir profondément ce, grâce à une culture artistique pluridisciplinaire impressionnant. En effet, après s’être d’abord formée à la danse classique et contemporaine en Italie pendant 12 ans puis aux Etats-Unis, entre autres à l’Alvin Ailey American Dance Center, à l’école de Martha Graham, ainsi qu’au Limon Institute et au Peridance Center, elle poursuivit ses études chorégraphiques durant quatre ans en France avec, entre autres, Peter Goss, Norio Yoshida, Anne Dreyfus, Jean-Marc Boitière, Carolyn Carlson et Redha. Au fil du temps elle compléta sa formation chorégraphique en Italie avec la chorégraphe Raffaela Giordano et par le théâtre, le chant, le hatha-yoga , la danse africaine la danse sensible de Claude Coldy… Elle se forma au butô dès 2002 avec Atsushi Takenouchi, Yumiko Yoshioka, Ko Murobushi, Seisaku (Hijikata Butoh), Yoshito Ohno, Yukio Waguri, Hisako Horikawa, Natsu Nakajima, Mitsuyo Uesugi et Masaki Iwana, art au sein duquel elle parvint dès lors à s’immiscer avec beaucoup de bonheur du fait de cet incroyable bagage artistique... Son palmarès chorégraphique est d’ailleurs, lui aussi, fort impressionnant : pas moins de 36 créations en une vingtaine d’années…
Autres artistes de la 6ème édition:
Helena Mastracci Juju Alishina Corinna Torregiani
Il n’est dès lors pas étonnant qu’elle puisse avoir acquis la faculté de pouvoir vivre et transmettre intensément, à l’instar des danseurs orientaux, une pensée universelle d’une grande latitude et faire vivre à son public l’univers onirique qui émanait de son subconscient, ce par la seule force du geste, aussi fragile qu’éphémère mais lourdement chargé de sens. La danse butô représentait pour elle la possibilité de réunir son chemin spirituel avec celui de la danse occidentale et, de ce fait, celle-ci devint naturellement, en 2009, prédominante dans ses créations et ses présentations. Ses propos et sa philosophie rejoignèrent alors ceux de nombreux danseurs japonais de butô. Sa création pour ce festival, Terre rare, mémoire des sols, évoque la vie qui, bien sûr, s’écoule et se consume dans le corps de l’Homme, des animaux et des végétaux mais également dans la terre et les pierres, lesquelles, elles aussi, seraient capables d’éprouver des émotions et de les faire rejaillir dans l’âme des initiés. C’est ainsi que l’être que nous avions devant nous, quasi-immatériel, empreint d’une poésie et d’une sensibilité qui n’avaient d’égale que sa sensualité, était traversé par une pléiade de sentiments d’une rare intensité, et d’idées faisant appel à la mythologie. Sa palette, très large, s’étendait de la béatitude à la colère, en passant par la peur, la souffrance, la haine, la cruauté, tous sentiments qu’elle parvint à rendre attachants et qui n’eurent finalement d’égal que leur profondeur et leur beauté. Car, de la mort, nait la vie. Il faut dire que la chorégraphe-interprète était servie par une musique électro-acoustique enveloppante signée Rodolphe Collange, parfaitement adaptée à son propos : sa puissance et sa gravité sublimaient son art. Il est vraiment dommage que de tels artistes ne soient pas davantage connus et programmés dans notre pays…
J.M. Gourreau
Terre rare, mémoire des sols / Kea Tonetti, , Théâtre Aleph, Ivry-sur-Seine, 22 octobre 2021, dans le cadre de la 6ème édition du festival « En chair et en son ».
*Voir ma critique dans ces mêmes colonnes en octobre 2017
Kea Tonetti / En chair et en son / Ivry-sur-Seine / Octobre 2021
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