Ken Ossola / Mémoire de l'ombre / Ce que l'ombre nous dit
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 17/02/2014
- Dans Critiques Spectacles
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Photos Grégory Batardon
Ken Ossola :
Ce que l'ombre nous dit...
L’inconscience est souvent à la base du génie. Il en fallait cependant une bonne dose pour s’attaquer à la musique de Gustav Mahler. Mais le résultat fut à la hauteur de nos espérances. La mémoire de l’ombre n’est pas née d’un coup de tête, et l’on peut même dire que la gestation de ce ballet fut plutôt longue puisque cela fait deux ans, voire même davantage, que Ken Ossola y songeait. A l’instar de Lux créé pour ce même Ballet du Grand Théâtre de Genève sur le Requiem de Fauré en 2009, La mémoire de l’ombre n’est pas une pièce reposant sur un argument. Elle répondait en fait à un besoin, celui de faire ressurgir de l’ombre des émotions et sentiments qui étaient profondément enfouis au de sein son âme. Symbole de vie et de mort, l'ombre est en effet le double du corps, celle qui cache ce qu'il y a de plus profond en nous-mêmes, ce qui n'apparait pas à la lumière. Elle seule demeure lorsque l'on meurt. Or, il faut se remémorer que ce chorégraphe, d’origine coréenne, est arrivé à Genève à l’âge de 3 ans, suite à son adoption par une nouvelle famille. Les souvenirs de sa petite enfance qui restaient une énigme pour lui l’ont toujours hanté : il les trainait dans son ombre sans les voir réellement se matérialiser, jusqu’au jour où, âgé de 23 ans, il parvint à retrouver sa mère biologique qui lui confirma la réalité de ses rêves. Ce sont sans doute ces souvenirs que l’on retrouve dans cette création totalement supportée par la musique de Mahler. C’est elle qui lui a sans doute permis de revenir à ses sources, à lever les ombres enfouies dans sa mémoire, à lâcher prise sur son passé, à expliciter certaines de ses pensées, préoccupations, et agissements d’aujourd’hui. La quasi-totalité de l’œuvre de ce compositeur est en effet empreinte d’émotions sombres et douloureuses, de la même essence que celles d'Ossola, issues des tréfonds de son âme. Et aucune œuvre musicale ne pouvait mieux répondre qu’elle aux attentes du chorégraphe, malgré sa richesse émotionnelle intrinsèque.
De là sans doute la réussite de ce pari extrêmement osé. Mais pas seulement. Mahler était un être profondément attiré par la nature, comme il le démontre dans son Chant de la terre. Or Ken Ossola avoue avoir été lui aussi très vite attiré par le rapport que le musicien entretenait avec la nature. Et si cela ne s'explicite pas nécessairement dans sa chorégraphie, ce sont les décors qui sont le reflet de cet amour pour une nature d'une beauté sauvage mais, aussi, redoutable dans ses accès de colère, tout comme on peut les retrouver dans certains passages de ses 2ème et 6ème symphonies. En effet, si le décor du fond - inspiré d'une magnifique photo japonisante de conifères sous la neige fondante au sortir de la brume - évoque les incessants bouleversements de la nature, le dispositif mobile de Nicolas Musin, constitué par une membrane plissée réfléchissante interposée depuis les cintres entre la toile de fond et les danseurs a l'heur d'évoquer, selon les éclairages et les angles, tantôt une profonde vallée verdoyante à la fonte des neiges, tantôt des sommets acérés et des glaciers crevassés sous la tempête. Un regret cependant : si ces décors reflètent assurément l'âme du compositeur, et la danse l'essence de la musique, il est dommage toutefois que Ken Ossola n'ait pu trouver de passerelle formelle entre la danse et le décor...
La chorégraphie quant à elle est, comme à l'habitude chez cet artiste, rapide, alambiquée, souvent acrobatique - émaillée de nombreux portés - mais très moelleuse et d'une musicalité extrême. Ken Ossola a délibérément choisi de traduire par la lenteur et la retenue la force émotionnelle de la partition ; mais sa dynamique et sa couleur l'ont été par des mouvements emphatiques et rapides. Si ces derniers, bien que calqués sur la musique, n'en sont pas volontairement l'exact reflet, ils n'en restituent pas moins les émotions et les vibrations qui y sont contenues dans toute leur plénitude. Et il faut saluer la performance, la technicité et la sensibilité de tous les interprètes, à la place desquels je n'aurais pas voulu me trouver !
J.M. Gourreau
Mémoire de l'ombre / Ken Ossola & le Ballet du Grand Théâtre de Genève, Bâtiment des forces motrices, Genève, du 13 au 20 février 2014.
Ken Ossola / La mémoire de l'ombre / Genève / Février 2014
Commentaires
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- 1. richard daniele Le 16/01/2015
Magnifique chorégraphie sur la non moins magnifique musique de gustav Mahler. Le cri de la terre éclate, encore et encore................ritxkem
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