Mourad Merzouki / Folia / Une bien douce folie
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 17/11/2019
- Dans Critiques Spectacles
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Photo Julie Cherki Photo Max Resdefault
Mourad Merzouki :
Une bien douce folie
Comment diantre fait-il pour réussir d’une aussi éclatante manière tout ce qu’il entreprend ? Et ce, dans tous les domaines de l’art, aussi éloignés fussent-ils ? Il n’est jamais là où on l’attend, se renouvelant sans cesse, s’engageant dans les voies les plus risquées, nous étonnant chaque fois davantage. Cette fois, le pari était des plus osés. Car faire danser des hip-hoppeurs sur de la musique baroque, cela peut sembler totalement farfelu, voire même incongru ! Bien évidemment, on l’attendait au tournant car c’était aussi la première fois que Mourad Merzouki se servait de musique classique comme support d’une pièce. Or, il nous a carrément bluffé, et de la plus belle manière qui soit ! Il faut dire que ce chorégraphe possède d’une part un sens inné de l’esthétique et de la mise en scène et, d’autre part, qu’il sait dénicher et s’acoquiner avec des artistes de grand talent. Ses dernières pièces, qu’il s’agisse de Vertikal, de Yo Gee Ti ou surtout de Pixel, en sont des exemples frappants.
Photos Julie Cherki
Qui eut cru qu’il puisse être fasciné par la musique baroque de Vivaldi au point de créer quasiment entièrement un ballet qui s’appuie sur elle ? Son titre, Folia (Follia en italien), est d’ailleurs celui d’une danse populaire hypnotique débridée comme la folie, vraisemblablement née au 15è siècle au Portugal et qui arrive en Italie au début du 17è, en même temps que la guitare espagnole et les danses qu’elle accompagne, passacaille, sarabande ou chaconne. Son thème sera repris au cours des décennies suivantes par de nombreux musiciens parmi lesquels Antonio Vivaldi, d’une part en 1705 dans sa Sonata da camera N° 12 op.1 pour deux violons et basse continue intitulée La Follia, d’autre part, en 1727 dans son opéra Orlando furioso. Si le chorégraphe-metteur en scène, s’est servi de la première de ces partitions dans son œuvre, il a aussi utilisé d’autres pièces tout aussi connues de ce compositeur, tels des extraits de l’adagio du concerto "L’estro harmonico" en sol mineur pour deux violons, violoncelle et cordes ou, encore, de la Juditha triumphans, partitions introduites par des compositions d’autres musiciens baroques moins populaires, tels Santiago de Murcia, guitariste, compositeur et professeur particulier de la Reine d’Espagne, Marie Louise Gabrielle de Savoie, ou, encore, Henry le Bailly. L’un des buts du choréauteur, comme l’aurait dénommé Serge Lifar, était de faire goûter à son public la beauté de ces œuvres musicales ; mais il cherchait aussi et surtout à faire "fusionner" sur scène danse et musique en entremêlant étroitement les danseurs aux musiciens, les intégrant à la chorégraphie, ce dans une mise en scène (signée Benjamin Lebreton) d’une beauté à vous couper le souffle !
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Si les interprètes de l’Ensemble de l’Hostel Dieu dirigé par Frank-Emmanuel Comte - auquel on doit d’ailleurs la conception musicale de ce ballet, savamment mâtinée de musique électro de Grégoire Durrande - étaient placés au fond de la scène, les solistes quant à eux, drapés de majestueux costumes chamarrés de pourpre et d’or, évoluaient au beau milieu des danseurs ou au cœur de deux volumineuses sphères, évoquant sans doute différentes facettes du globe terrestre et de sa population en expansion exponentielle ; à moins que ce ne fusse une allusion à toutes les calamités, cataclysmes et transformations désastreuses qui s’abattent de plus en plus fréquemment et plus profondément à l’heure actuelle sur notre univers, le détruisant certes à petit feu mais inexorablement, sans coup férir… Parmi ces interprètes, la prodigieuse soprano au timbre d’argent, Heather Newhouse, qui, l’espace de quelques instants, avait l’heur d’être la partenaire privilégiée et le jouet favori de certains danseurs… Et quels danseurs ! Jusqu’à un derviche tourneur qui, de par les variations dans sa rotation, imprimait le mouvement qui donnait le ton à ses partenaires, qu’ils fussent d’obédience classique (sur pointe s’il vous plait !), contemporaine ou, bien sûr, hip hop. A ce titre, il me faut tout spécialement mentionner les noms de Nedeleg Bardouil, Joël Luzolo et de Habid Bardou, danseurs-acrobates qui ont stupéfié les spectateurs par leurs ahurissantes prestations. Un spectacle magique, d’une énergie incommensurable, qui une fois encore, révèle la générosité et l’empathie de son auteur. A ne rater sous aucun prétexte !
J.M. Gourreau
Folia / Mourad Merzouki, Théâtre Le 13ème Art, Paris, du 3 novembre au 31 décembre 2019. Spectacle créé en ouverture des "Nuits de Fourvière" à Lyon, le 1er juin 2018.
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Mourad Merzouki / Folia / Le 13ème Art Paris / Novembre 2019
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