Shiro Daïmon / Kiyohimé, la rivière de feu / La cruauté de la jalousie
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 30/11/2015
- Dans Critiques Spectacles
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L'amour fou métamorphose la femme en démon. "Regarde, le feu prend, il crépite, il nous encercle.
L'amour déchire ceux qui tombent sous sa dent."
Photos J.M. Gourreau
Shiro Daïmon:
La cruauté de la jalousie
Il est parfois des contes qui font frémir et que poètes ou dramaturges s'ingénient à rendre plus insupportables encore par le truchement de leur art. Tel est le cas de celui de Kiyohimé, la "princesse pure", qui a inspiré de nombreuses pièces théâtrales ou dansées au Japon depuis l'ère Genkô. L'histoire est celle d'un bonze novice, Anchin, qui se rendait chaque année en pèlerinage aux temples de Kumano en pays Kishû, trouvant gîte et couvert chez Masago Shôgi et sa fille Kiyohimé. Un jour, Anchin dit en plaisantant à Kiyohimé qu’il allait l’épouser et qu’il l’emmènerait à Ôshu. Folle de joie, Kiyohimé insista pour que le mariage ait lieu sans attendre. Mais n’ayant pas tout à fait terminé son apprentissage, Anchin ne pouvait encore se marier. Accablé par cette pressante demande, Anchin réussit tant bien que mal à s'échapper par quelque mensonge. Mais Kiyohimé le poursuivit. Il tenta alors de l'arrêter par quelques incantations sacrées qui la transformèrent malencontreusement en... serpent ! Désespéré Anchin se réfugia sous une grosse cloche. Se croyant trompée, Kiyohimé s’enroula sept fois autour de la cloche et la chauffa à blanc, autant avec les flammes de l’amour que celles de la jalousie, ce qui entraina la mort de son prétendant.
C'est précisément l'adaptation de ce thème que l'exceptionnel chorégraphe et danseur japonais Shiro Daïmon a choisi pour sa rentrée parisienne, excellant comme on le sait dans l'interprétation des rôles féminins dont il exacerbe l'intensité et la profondeur des sentiments avec une maestria remarquable. C'était réellement fascinant de partager le calme et la sérénité qui l'étreignaient dans la première partie du spectacle alors qu'il incarnait Anchin en s’accompagnant au shamizen, et, l'instant d'après, la violence confinant à l'hystérie qui l'habitaient dans son interprétation du rôle de Kiyohimé, certes ravagée par un sentiment de colère mais, surtout, empreinte d'une jalousie incommensurable qui la transformait littéralement en ouragan de feu, déversant des torrents de flammes à l'entour tout en se consumant petit à petit. Contraste saisissant que l'on retrouvait démultiplié dans la poignante partition musicale pour piano de François Rossé, toute en nuances, merveilleusement bien adaptée au propos du chorégraphe-danseur.
Il est regrettable que les apparitions de ces deux artistes aussi étonnants que fabuleux soient si furtives dans notre capitale. Disciple des grands maîtres du Nô et du Kabuki, Shiro Daïmon s'est forgé un style très personnel issu de la fusion de ces deux arts traditionnels japonais avec la danse contemporaine occidentale. Un amalgame qui lui a offert des possibilités d'expression décuplées et qu'il a mis parfaitement en valeur dans ce fascinant spectacle d'une ineffable poésie dans laquelle se retrouve toute l'âme nippone.
J.M. Gourreau
Kiyohimé, La rivière de feu / Shiro Daïmon, Auditorium du Petit Palais à Paris, 28 novembre 2015, dans le cadre de l'exposition Kuniyoshi, le démon de l'estampe.
la rivière de feu / Petit Palais / Novembre 2015 Shiro Daïmon / Kiyohimé
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