misa tango
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Julien Lestel / MisaTango / Une messe dansée
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 05/05/2018
- Dans Critiques Spectacles
Photos F. Pinson & D. Malherbe
Julien Lestel :
Une messe dansée
Il lui fallait un cadre à sa mesure. Elle l’a enfin obtenu. Cette MisaTango de Martin Palmieri (dénommée Misa a Buenos Aires en Argentine), bien qu’elle ne soit pas aussi célèbre que la Misa criolla d’Ariel Ramirez ni que les Missa solemnis de Beethoven ou de Mozart, aura fini par bénéficier du faste et de l’aura dont elle aurait dû être parée depuis deux décennies. Créée en août 1996 par l’orchestre symphonique de Cuba au théâtre Broadway de Buenos-Aires, la MisaTango de Palmieri, composée sur des airs de tango, apanage de la culture argentine, comporte cependant tous les éléments traditionnels d’une messe latine: elle en conserve en effet son caractère religieux et respecte le déroulé de la liturgie chrétienne dont on retrouve les cinq parties habituelles sous forme de mouvements assez courts, le Kyrie, le Gloria, le Credo, le Benedictus et l’Agnus dei. Au cours de ce dernier, les phrases mélancoliques du bandonéon préparent l’entrée de la soliste Sophie Hanne, mezzo-soprano dont la voix chaleureuse a l’heur de vous projeter dans un autre monde et de vous réchauffer le cœur… Ces éléments traditionnels ont en effet un rythme dansant, voire envoûtant tout à fait inhabituel. L’orchestre à cordes est ici associé à un piano et à un bandonéon, instrument emblématique du tango, lequel apporte à l’ensemble une touche aussi originale qu’étonnante qui donne à cette messe sublime une tonalité tragique. Cet alliage sonore confère de ce fait à la partition une couleur très particulière, extrêmement attachante, qui met en valeur les voix et se conjugue particulièrement bien avec elles. L’œuvre se termine de manière très émouvante par un Dona nobis pacem, seule véritable fugue de cette pièce pleine de ferveur, avant que la musique ne s’apaise et ne s’éteigne doucement, jusqu’au silence, rédempteur de la sagesse et de la paix.
L’histoire de cette messe, restée longtemps inconnue hors de ses frontières, n’est d’ailleurs pas banale. Laissons son auteur l’évoquer : « J’étais également chef de chœur et pianiste dans un orchestre de tango, raconte-t-il. Comme il n’existe pas de répertoire de tango pour chœur, mes choristes me demandèrent d’écrire un arrangement de tango pour chœur a cappella. Ce fut un véritable désastre : le tango est une culture, un mode de vie qui implique même une façon de marcher ! Or le chœur sonnait totalement européen, et les voix solistes se perdaient sans intérêt. J’ai donc compris qu’il fallait écrire une œuvre originale. Et comme, à cette époque, je m’intéressais beaucoup à la musique religieuse, j’ai décidé d’écrire une Messe, en gardant le latin qui, pour moi, est la langue chorale par excellence. J’ai commencé à chanter le Kyrie sur un thème de tango, puis le Kyrie s’est terminé naturellement. Le reste de l’œuvre a ainsi suivi. Le Pape François a demandé à l’écouter et il en a chaudement fait l’éloge »...
Photos B. Faure & D. Malherbe
C’est seulement en 2012 que cette partition éclatante de chaleur et de sensualité, fortement marquée par la tradition catholique, franchira nos frontières. Cette année-là, la Chorale "A cœur-joie" de Chambéry et son chef, Patrice Rimet, proposent à l'Ensemble "Ad Libitum" et au bandéoniste Jérémy Vannereau de monter l’œuvre en France. Celle-ci est alors encore quasiment inconnue : ils seront parmi les premiers à la présenter dans son intégralité. L’enregistrement en public qu’en ont fait Michel Piquemal, l’Orchestre Pasdeloup et le Chœur Vittoria d’Île de France apportent dès lors une notoriété planétaire à son auteur, Martin Palmiéri. Le succès de cette Misatango est en effet immédiat. C’est alors que la complicité entre Jérémy Vannereau et les musiciens d'"Ad Libitum" se resserre et leur donne envie de poursuivre l'aventure. Les changements de rythme constants et la pléiade de nuances contenues dans la partition ont conduit le chef des chœurs à en accentuer les variations et les oppositions, et à mettre en avant ces contrastes en sollicitant un couple de danseurs à créer une chorégraphie pour illustrer ces évolutions de l’âme. La suite logique était le renforcement de cette formation en invitant un chorégraphe et sa compagnie pour accroître la force de l’œuvre lyrique en incorporant au sein de la mise en scène des pièces dansées à part entière, lesquelles mettraient en avant à la fois la tension dramatique contenue dans les rythmes du tango et la ferveur de la liturgie catholique. D’où le choix d’une chorégraphie classique commandée à un chorégraphe d’une sensualité et d’un charisme notoires, Julien Lestel, lequel, tout en respectant scrupuleusement l’esprit de l’œuvre, parvint avec beaucoup de bonheur à restituer ces différentes atmosphères en faisant alterner soli et duos de couleur et d’expression différentes par son ensemble de dix danseurs. Bien qu’il se soit parfois laissé déborder par la puissance et la tension dramatique de la partition musicale qui éclipsait par instants la danse, il sut réaliser des variations aussi originales que sophistiquées, empreintes auréolées de nombreux portés, d’une très grande beauté et d’une incomparable volupté. Cependant, il n’en restera moins profondément gravées dans notre mémoire des images aussi fascinantes qu’inoubliables, de par leur architecture, leur expressivité, leur élégance et leur pureté, telles celles de ce duo à la fois empreint de profondeur, de spiritualité mais, surtout, d’émotion et de tendresse, qu’il interpréta lui-même avec une soliste de sa compagnie. En prélude à cette messe, avait été spécialement composée par Martin Palmieri lui-même une fort brillante ouverture, à laquelle faisaient suite trois courtes pièces d’Astor Piazzolla dans le même esprit. Une œuvre magistrale aussi ambitieuse que grandiose qui fait honneur à ses auteurs.
J.M. Gourreau
MisaTango / Julien Lestel, musique de Martin Palmieri, Chœur régional Vittoria d’Ile –de-France et Orchestre Pasdeloup, Opéra de Massy, 2 & 3 mai 2018.
On pourra retrouver un excellent enregistrement de cette MisaTango sous le label des éditions Hortus avec les mêmes interprètes, qu’il s’agisse de l’orchestre, des solistes ou des chœurs, enregistrée en public le 1er avril 2016, en l’église Notre-Dame du Liban à Paris. La sortie de ce disque dans les magasins distributeurs, officiellement prévue pour janvier 2017, a été précédée par un concert inaugural en présence du compositeur, le 19 novembre 2016, dans la salle de concert du Conservatoire du 9ème arrondissement de Paris.
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Laure Daugé & Sarath Amarasingam / Valse poupée robot tango / Fraîcheur et poésie
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 11/12/2013
- Dans Critiques Spectacles
Photos J.M. Gourreau
Laure Daugé & Sarath Amarasingam:
Fraîcheur et poésie
Il n'est pas rare que des spectacles plus spécialement destinés aux enfants fassent également le bonheur des adultes. Peut-être parce qu'ils touchent au merveilleux, peut-être aussi parce que le message qui les sous-tend est généralement aisé à comprendre, forçant l'imagination lorsqu'il conjugue le théâtre et la danse. Tel est le cas de Valse-poupée-robot-tango, un spectacle expressif et imagé mais tout en nuances de Laure Daugé et Sarath Amarasingam, qui reprend des thèmes chers à l'enfance, ceux de poupées qui prennent vie, apprennent à se connaître puis à se défier ou partager un langage commun, le temps de la représentation : ce faisant, ils vont bien sûr découvrir la tendresse et l'amour avant de redevenir de simples jouets. Un condensé de Casse-noisette, de Coppélia et d'Arlequin & Colombine en quelque sorte, dont les personnages tantôt s'attirent, tantôt se repoussent et auxquels il va survenir moult aventures plus truculentes les unes que les autres, notamment la révélation de la danse classique pour l'une, de la danse indienne pour l'autre !
Pour les férus de danse cependant, l'intérêt de l'œuvre ne s'arrête pas là. Issue du Conservatoire Supérieur de Danse de Paris, Laure Daugé s'est également forgée une solide réputation dans le répertoire contemporain, mixant avec bonheur les deux disciplines. Quant au chorégraphe et danseur sri lankais Sarath Amarasingam, formé à l'origine à la danse indienne, il s'est initié au hip-hop dès le début des années quatre vingt dix pour se diriger petit à petit vers la danse contemporaine quelque temps plus tard. L'œuvre, dont la longueur est parfaitement adaptée au jeune public, fait appel à ces quatre disciplines judicieusement mixées, révélant deux brillants danseurs, chacun dans des disciplines différentes mais complémentaires. Au final, un magistral exercice de style plein de fraîcheur et de poésie !
J.M. Gourreau
Valse Poupée Robot Tango / Laure Daugé et Sarath Amarasingam, Centre Mandapa, Paris, du 8 au 10 décembre 2013.
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Sidi Larbi Cherkaoui / Milonga / Apologie du tango
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 29/11/2013
- Dans Critiques Spectacles
Photos Tristram Kenton
Sidi Larbi Cherkaoui :
Apologie du tango
On ne pourra reprocher à Sidi Larbi Cherkaoui de s'enfermer dans un système : il surgit toujours là où on l'attendait le moins, avec souvent beaucoup de bonheur. Il a presque touché à tout, du hip hop à la danse tibétaine, en passant par le kathak et, bien sûr, par la danse contemporaine. Ses spectacles sont toujours léchés, esthétiquement fort beaux et, sur le strict plan chorégraphique, ils s'avèrent très généralement d'un haut niveau. Or, il n'est pas toujours aisé de maintenir la barre au zénith !
Avec Milonga, ce chorégraphe se réattaque avec bonheur au tango, discipline chorégraphique bien particulière dont il a aujourd'hui parfaitement assimilé le style, après six séjours passés à Buenos-Aires pour se perfectionner et au cours desquels il a assidûment fréquenté les milongas, ces soirées données dans certains bars de la capitale où l'on danse le tango. Ce n'est cependant pas la première fois qu'il y fait appel dans ses œuvres : il y avait notamment eu recours dans Tempus fugit, créé en Avignon en 2004. Pour lui, le tango est une des plus belles danses du monde du fait de sa sensualité, de son ressenti vis-à-vis de son ou sa partenaire. C'est une sorte de conversation dans le silence, l'étreinte remplaçant la parole.
Milonga n’est cependant pas un spectacle de tango ordinaire, Sidi Larbi Cherkaoui s’étant mis en devoir de lui insuffler une petite note contemporaine. Sur les six couples en lice, cinq sont des argentins de pure race, mais le sixième est un couple de danseurs contemporains. Et si la représentation reste une exploration fascinante du tango mettant en valeur la souplesse, la technicité, la virtuosité éblouissante et, même, l’humour des interprètes, les codes n’ont cependant pas toujours été respectés pour autant, ce qui n’est d’ailleurs pas un mal ! Ainsi peut-on découvrir au cours du spectacle deux danseurs dos à dos, un homme avec deux partenaires du sexe opposé ou bien trois danseuses ensemble ! Le chorégraphe a également pris une certaine liberté avec la gestuelle habituelle, analysant puis décomposant certaines figures traditionnelles pour les réarranger à sa manière. Il en est né une danse d’une fluidité extraordinaire, peut-être aussi plus sensuelle, en tous les cas assez éloignée des clichés que l’on a l’habitude de voir, d’autant qu’ils ont été replacés dans le cadre local par le truchement de vidéos filmées dans les rues et faubourgs de Buenos-Aires en guise d’intermèdes ou, carrément, comme décor. Trouvaille également que celle d’avoir fait appel au cinéma pour démultiplier ses personnages, ou celle d’avoir utilisé des figurines de carton animées grandeur nature, silhouettes qui confèrent une autre dimension à l’œuvre. La présence de cinq musiciens en live côté jardin apporte, inutile de le préciser, un côté chaleureux qui renforce l’atmosphère créée par les danseurs.
Un petit bémol cependant, la durée du spectacle avoisinant 1h30, ce qui rend sa fin un peu monotone. C’est toutefois un spectacle de grande qualité qui est à recommander tout particulièrement à ceux qui pourraient voir naître des problèmes relationnels dans leur couple : Milonga est une œuvre où la danse est complicité, sensualité, passion, amour et paix...
J.M. Gourreau
Milonga / Sidi Larbi Cherkaoui, Grande Halle de la Villette, du 27 novembre au 7 décembre 2013.
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Otango / Un grand professionalisme
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 07/11/2010
- Dans Critiques Spectacles
Un grand professionnalisme
Ils nous viennent tout droit de Buenos Aires, la capitale du tango. Ils sont dix sept, dix danseurs accompagnés par cinq musiciens et deux chanteurs, aux voix graves et profondes. Inoubliables. Ils ne dansent pas seulement pour le plaisir de danser - ce qu’ils savent pourtant faire à merveille - mais pour raconter une histoire. Leur histoire. Une histoire d’amour et de mort. Une de celles, sordides, que l’on vit quasiment tous les jours dans les bas quartiers de Buenos-Aires, précisément ceux où est né le tango, ceux d’où ils sont issus. Une histoire universelle toutefois, celle d’un homme dont la frivolité et les errances le conduiront à perdre la seule femme que, véritablement, il aimait. A l’instar de la Carmen de Mérimée, cette séparation le fera sombrer dans la folie, à tel point qu’il commettra, suite à une dispute, l’acte irréparable. Et, comme dans Giselle, hanté par le remords, il tentera par tous les moyens - mais sans succès - de la faire renaître.
Un récit poignant qui nous est conté alternativement par le chant et la danse, le premier exprimant davantage la passion, la violence et la profondeur des sentiments que la seconde, évoquant quant à elle la volupté et la sensualité, le désir et l’amour, la jalousie et la rage, le conflit et la lutte. La chorégraphie d’Adrian Veredice et d’Alejandra Hobert, bien que parfois sophistiquée et très rapide, est théâtrale et parfaitement adaptée au propos, élégante et enlevée, teintée d’une pointe d’érotisme quand il le faut. Un langage puisé aux origines du tango et qui en montre les multiples facettes mais qui évoque aussi la misère du peuple défavorisé des favelas. Or ces artistes, tant les danseurs que les musiciens ou les chanteurs, sont criants de vérité, exprimant ce drame avec foi et toute la force de leur âme.
Cette œuvre en cinq tableaux présente entre chacun d’eux - et c’est peut être le seul reproche que l’on pourrait lui faire - des cassures de rythme nuisant à la lisibilité de l’histoire. Toutefois, elle est servie dans des décors réalistes bien adaptés, ce qui rompt avec les spectacles traditionnels qui nous sont donnés à voir, fort peu nombreux d’ailleurs. Mais rares sont ceux d'une telle beauté et d'une telle trempe…
J.M. Gourreau
Otango / Olivier Tilkin, Adrian Veredice et Alejandra Hobert, Casino de Paris, jusqu’au 14 novembre 2010.
Prochaines représentations :- Angers, Centre des Congrès, 16 Novembre
- Les Sables d’Olonne, Les Atalantes, 17 Novembre
- Joué les Tours, Auditorium Espace Malraux, 18 Novembre
- Toulon, Palais Neptune, 21 Novembre
- Annecy, Arcadium, 21 Novembre
- Marseille, Palais des congrès, 24 Novembre
- Béziers, Zinga Zanga, 25 Novembre
- Nice, Acropolis, 26 Novembre
- Toulouse, Théâtre Barrière, 28 Novembre
- Biarritz, Gare du midi, 30 Novembre
- Boulazac, Le Palio, 1er décembre
- Perpignan, Palais des congrès, 2 Décembre
- Dijon, Le Zénith, 4 Décembre
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Tango, musique et poésie, A.Pau
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 31/10/2009
- Dans Analyse de livres
Tango, musique et poésie
par AntonioPau, traduit de l’espagnol par Frédéric Pic, 288 pages, Broché, éd. Christina Pirot, St Cyr sur Loire, 3ème trimestre 2006, 20 €.
Juriste et écrivain, passionné de tango, Antonio Pau dévoile dans cet ouvrage les arcanes de la musique et de la poésie du tango ainsi que l’histoire émouvante et souvent tragique des personnages à l’origine de cet art dont Satie disait qu’il était la danse préférée du diable. Ce travail est en fait le recueil de textes radiodiffusés régulièrement par l’auteur durant un an et demi, 23 heures au total, sur l’indicatif FM 90.3. Il conte le développement de cet art nostalgique avec Carlos Gardel et Astor Piazzola en 1935, lequel n’avait que 13 ans à l’époque ; il nous fait revivre ses étonnantes pérégrinations dans toute l’Argentine, l’Amérique du Sud puis l’Europe au travers d’anecdotes plus truculentes les unes que les autres évoquant les grands noms du tango mais aussi ceux de compositeurs occidentaux tels Satie, Stravinski, Milhaud, Albeniz ou Kurt Weil. On apprendra ainsi qu’Augustin Magaldi, mort en 1938, enregistrera très officiellement Siempre es carnaval en novembre de la même année…
J.M.G.