Maxence Rey / Les bois de l'ombre / Ivry / Septembre 2012
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Maxence Rey / Les bois de l'ombre / Les deux faces de Janus
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 12/09/2012
- Dans Critiques Spectacles
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Les Bois de l'ombre, Ivry, Septembre 2012
Ph. J.M. Gourreau
Maxence Rey :
Les deux faces de Janus
Il est étonnant de voir jusqu’à quel point une œuvre peut changer de visage et, même, totalement son sens originel selon les lieux et les circonstances selon lesquelles elle est présentée, la lumière, voire le temps. L’opus 1 de Maxence Rey, Les bois de l’ombre, est un solo créé à Montreuil en mars 2010, solo qui interroge la transformation, la mutation, la métamorphose du corps. Une pièce qui nécessite, pour le spectateur, de pénétrer jusqu’aux tréfonds de l’âme de son auteur, de s’éclairer de sa lumière intérieure, de se glisser dans son ombre jusqu’à se substituer à elle. Si l’œuvre avait été créée dans une petite salle totalement obscure, elle avait cependant été conçue pour être présentée dans les lieux les plus divers, voire même atypiques tels parcs ou jardins, musées ou centres d'exposition, halls et lieux publics, voire même appartements... La noblesse de l’attitude de son auteur-interprète avait laissé planer un étrange et indéfinissable parfum qui m’avait alors inspiré ces quelques lignes :
« Elle est là, assise, immobile, dans la pénombre, le visage figé, éclairé par un pâle rayon de lune. Dans le silence de la nuit. Sa fragilité inquiète autant qu’elle attire, sa présence, mystérieuse, énigmatique, inspire par instants la peur. Qui est-elle ? Qu’attend-elle ? La pâleur iconique de ses traits évoque une vierge de Cranach, son attitude hiératique et sa coiffe, une haute noblesse. Une femme sphinx ? Un parfum de mystère émane de son regard qui nous regarde sans nous voir, absente. Son corps s’anime soudain, s’étire, se tend. Sa coiffe, un cône renversé tourné vers le ciel comme pour attirer les foudres, prolonge son corps, l’ouvrant sur l’infini. Petit à petit, celui-ci se dévoile, sort de l’ombre, laissant apparaître sa fragilité. L’univers sonore de Vincent Brédif le caresse, le pénètre, le dépouille, le secoue, le transforme. Jouet dérisoire que l’on casse. L’enveloppe noire dont ce corps était ceint se brise peu à peu. Une femme apparaît alors dans toute sa crudité, son humanité, son accessibilité. Une enveloppe fragile la recouvre encore, empêchant sa chair de parler. Elle disparaîtra peu à peu sans avoir toutefois dévoilé son mystère, sans avoir livré son secret ».
C’est dans un espace radicalement opposé qu’il nous est donné de revoir cette pièce, un chantier de construction flanqué de deux immenses blocs d’immeubles dans une zone d’aménagement concertée (ZAC) d’Ivry. Un lieu magique s’il en est un, à mi chemin entre un chantier de fouilles et un forum éphémère, au sein duquel le public accède par une passerelle de planches posées à même le sol. Un lieu en mutation qui, par conséquent, sert à merveille les propos de la chorégraphe. Mais aussi un lieu insolite, à priori peu amène pour accueillir un spectacle, a fortiori chorégraphique.
Présentée dans un tel site au coucher du soleil, l’œuvre, interprétée sur une butte de terre en guise de scène, devait évidemment prendre une autre signification et perdre un peu du mystère induit par les lumières de Cyril Leclerc dans l'obscurité du théâtre. Mais elle prit une autre dimension, révélant bien évidemment la beauté de l’espace en le mettant en valeur mais aussi la féminité et la poésie de l’être dansant s’abandonnant peu à peu aux voluptueuses caresses des rayons rougeoyants du soleil couchant. Une œuvre à deux visages qui, par conséquent, mériterait d’être vue - et donc présentée consécutivement ou en alternance - de jour comme de nuit…
J.M. Gourreau
Les bois de l'ombre, Montreuil, Mars 2010
Ph. J.M. Gourreau
Les bois de l’ombre / Maxence Rey, TRANS/2, Ivry, 7 septembre 2012.