Thierry Malandain / Martin Harriague / L'oiseau de feu / Le Sacre du printemps / Théâtre de Chaillot / Novembre 2021
-
Thierry Malandain & Martin Harriague / L'oiseau de feu / Le Sacre du printemps / Hommage aux Ballets Russes
- Par Gourreau Jean Marie
- Le 12/11/2021
- Dans Critiques Spectacles
- 0 commentaire
L'oiseau de feu - Claire Lonchampt, Hugo Layer, Mickaël Conte © Olivier Houeix
Thierry Malandain et Martin Harriague :
Hommage aux Ballets Russes
Créés respectivement en juin 1910 sur la scène de l’Opéra de Paris par les Ballets russes de Diaghilev dans une chorégraphie de Michel Fokine, et en mai 1913 sur celle du Théâtre des Champs-Elysées dans une chorégraphie de Nijinski, L’oiseau de feu et le Sacre du printemps sont toutes deux des œuvres de Stravinsky qui auront véritablement révolutionné l’art de Terpsichore aux débuts du XXème siècle. Toutes deux ont par la suite été reprises par de nombreux chorégraphes parmi lesquels Balanchine qui utilisa pour l’Oiseau de feu non pas la musique du ballet dans son entité mais une des suites plus courte, la 3ème, que Stravinski écrivit en 1945. C’est cette même partition que Thierry Malandain utilisa pour son ballet. Comme à son habitude, une œuvre d’une beauté incommensurable chargée de mysticisme et d’ésotérisme, révélant à nouveau la sensualité et la sensibilité à fleur de peau de ce chorégraphe.
L'Oiseau de feu © Olivier Houeix
L’œuvre ne lui était d’ailleurs pas inconnue puisqu’il avait pu la danser en 1979 avec le Ballet du Rhin dans la version de Maurice Béjart. Pour Malandain, ce "phénix qui renaît de ses cendres" est un oiseau allégorique qui relie le ciel à la terre et la vie à la mort, symbolisant l’immortalité de l’âme et la résurrection du Christ. “D’où la tentation de faire de l’Oiseau de feu un passeur de lumière portant au cœur des hommes la consolation et l’espoir, à l’image de François d’Assise, le saint poète de la nature qui conversait avec ses frères les oiseaux”, explicite le chorégraphe. Le ballet est d’une lisibilité extraordinaire et d’une très grande musicalité. Le rideau s’ouvre sur un chœur ondulatoire de femmes et d’hommes en noir m’évoquant les corbeaux d’Hitchcock, en fait les forces du mal et la noirceur de l’âme humaine. Au fil de l’œuvre, cette cohorte passera par le rouge puis le jaune avant d’acquérir la blancheur de l’immortalité, évocation de la résurrection du Christ. L’oiseau quant à lui, vêtu de rouge et d’or, en devenant le phénix, est le passeur qui guidera ses ouailles, humaines ou animales, vers l’éternité. La gestuelle longiligne de son interprète, la grâce de ses mouvements de bras évoquant le battement des ailes d’un oiseau, la sensation éthérée qui émane de tout son être transporte le spectateur dans un univers irréel au delà des limites de notre monde et confère au ballet un sentiment de sur-naturalité. Il ne faut pas oublier en effet que François d’Assise, franciscain qui vivait au début du 13è siècle, était tout d’abord un grand admirateur de la nature, œuvre de Dieu dont il chantait les louanges mais, également, un grand protecteur des animaux, que ce soit des alouettes, des rossignols ou des renards mais aussi des vers de terre, des fourmis, des cigales et des araignées sur lesquels il a d’ailleurs laissé de passionnants écrits... Ne les appelait-il pas ses frères et sœurs? L’originalité de sa vision sur les animaux résidait dans le fait que l’être humain ne se distingue pas radicalement des animaux et que ces derniers ont pour origine le même créateur. C’est tout cela que l’on peut retrouver dans les différents tableaux de cette partition chorégraphique aux lignes épurées, d’un raffinement et d’une harmonie sans pareils, entachée d’une profonde spiritualité, à l’image de la piété légendaire de Stravinsky. Bien évidemment l’oiseau, après sa mort, renaîtra sous la forme d’un œuf incandescent. Pas de décors risquant d’entraver la lecture du ballet, bien sûr mais des éclairages édéniques renforçant la sensation de mysticisme et de profonde pureté dont il est auréolé.
Le Sacre du printemps © Olivier Houeix
Le second volet de ce spectacle consacré à Stravinsky s’avère d’une tout autre veine. Son auteur, Martin Harriague, est un jeune chorégraphe originaire de Bayonne que Malandain avait découvert il y a quelques années à Biarritz lors de la première édition du concours de jeunes chorégraphes classiques et néoclassiques. Il lui avait proposé de monter pour le Ballet de Biarritz une chorégraphie sur la pollution des océans, Sirènes, dont la création, en avril 2018, avait révélé un chorégraphe très éclectique doublé d’un dramaturge exceptionnel. Martin Harriague, dont on avait pu apprécier la très grande musicalité, avait en outre réalisé plusieurs œuvres parmi lesquelles Pitch créé en 2016 pour six danseurs de la Kibbutz Contemporary Dance Co. et la chorégraphie de l’opéra Idoménée de Campra, créé en octobre 2020 à Lille. Il est aujourd’hui intégré à la compagnie en tant qu’artiste associé au CCN de Biarritz.
Sa relecture du Sacre du printemps, véritable défi pour un si jeune chorégraphe, mérite le détour en raison de son originalité et de sa puissance. Le rideau s’ouvre sur un pianiste, en fait la réincarnation de Stravinsky, qui égrène les premières notes de la partition sur un piano droit. Surgit soudain des entrailles de l’instrument une horde sauvage avec, à sa tête, une sorte de gnome hystérique qui embarque ses acolytes dans une bacchanale sabbatique infernale, au diapason des violences musicales du Sacre. Les bonds et sauts répétitifs qui les animent sont en phase parfaite avec les impulsions terriennes de la musique. Effet saisissant garanti ! Le second tableau, moins fantasmagorique, voit cette meute mi-humaine, mi-animale qui semblait tout droit sortie des enfers se ranger à l’appel d’un "disque solaire" dominateur. Le dernier tableau, Le sacrifice, met en scène les jeunes filles dans une ronde sauvage pour désigner l’Élue, laquelle, vouée à la mort, sera violemment malmenée par ses congénères. Sera-t-elle la proie du vieillard satanique qui menait la horde ? Finalement, celle-ci s’élèvera, ensanglantée, dans les cintres, sous les huées de ses semblables et les accents telluriques de la partition musicale.
En présentant à Paris ce jeune chorégraphe au talent prometteur, Thierry Malandain, auquel il aura fallu, rappelons-le, quasiment 20 ans de lutte contre vents et marées pour atteindre la consécration et acquérir une renommée internationale, poursuit sans faille ni relâche sa destinée, celle de voir la danse classique se perpétuer aux côtés des autres formes de danse afin d’éviter qu’elle ne sombre dans l’oubli...
J.M. Gourreau
L’oiseau de feu / Thierry Malandain & Le Sacre du printemps / Martin Harriague, Programme Stravinsky, Malandain Ballet Biarritz, Théâtre National de la Danse Chaillot, du 4 au 12 novembre 2021.